Carnet
Portraits - Jean-Michel SCHULZ (M1991S)
Une grande interview de Jean-Michel Schulz (M1991S) a été réalisée pour l'ISAEdre 45. Retrouvez-en l'intégralité ci-dessous :
"Bonjour Jean-Michel,
Diplômé de Mastère Spécialisé® de SUPAERO en 1991, vous venez de recevoir le premier prix des Trophées de l’innovation e5t (1) pour vos travaux dans le domaine du stockage et de la distribution de l’hydrogène liquide. Toutes nos félicitations ! Quel a été votre parcours depuis SUPAERO et quelles en ont été les motivations ?
Bonjour. A ma sortie de SUPAERO, j’ai tout d’abord évolué une vingtaine d’années dans l’industrie en occupant les postes variés d’ingénieur d’essais à la Délégation Générale de l’Armement, puis quelques années dans l’automobile à la qualité et l’industrialisation chez Valeo, la conception et l’industrialisation de projets cryogéniques à la division des techniques avancées d’Air Liquide et enfin la direction technique puis industrielle dans le groupe Hexcel Composites. Au cours de ces expériences, j’ai eu la chance de collaborer à des programmes innovants aussi exigeants qu’exaltants tels que le Mirage 2000, le Rafale, Ariane 5, l’A380, le LHC du CERN, le Falcon 7X ou encore le B787 et l’A350, ainsi que de nombreuses innovations de procédés.
Depuis quinze ans, je suis professeur en management technique et industriel à la Haute École d’Ingénierie et de Gestion du canton de Vaud en Suisse. Je n’étais pas destiné à ce milieu académique et parfois encore je m’étonne de cette réorientation et de sa durée. Mais j’ai pu au sein de cette belle institution, trouver la confiance et disposer des moyens pour développer une filière d’ingénierie et de gestion industrielles, qui coïncide pleinement avec mon parcours professionnel atypique, alternant les postes très techniques et ceux du management, conciliant le monde de la conception et celui de la production. J’enseigne également avec beaucoup de plaisir les technologies aéronautiques et plus récemment les technologies de l’hydrogène au sein de l’EIGSI à La Rochelle. L’enseignement et le transfert d’expérience, se sont révélés être pour moi beaucoup plus qu’un simple métier, une sorte d’apostolat. Mes étudiants, les jeunes et maintenant les moins jeunes diplômés me le rendent très bien ! J’enseigne également bénévolement le Brevet d’Initiation Aéronautique à des plus jeunes au sein des Ailes Anciennes de Haute-Savoie. L’univers associatif m’apporte aussi son lot de sympathie. J’aime à penser que l’innovation ne s’oppose pas au patrimoine, et qu’elle peut même parfois s’en inspirer.
SHZ Advanced Technologies est né autour de discussions familiales passionnées et animées avec mon frère Éric (ancien Président de Rolls-Royce Civil Aerospace et ex-CCO d’Airbus) et mon fils Romain (ingénieur CNAM-ISAE 2021). Depuis quatre ans, nous développons des concepts technologiques innovants concernant le stockage et la distribution de l’hydrogène liquide embarqué pour les transports aéronautiques, terrestres et maritimes. Ce sont ces concepts et nos nombreux brevets qui ont été récompensés par le premier prix de l’innovation de e5t.
Lorsqu’il y a trente ans, nous n’étions qu’une poignée d’ingénieurs à nous prendre la tête sur les problèmes d’hydrogène ou d’hélium liquide, j’étais loin d’imaginer que la cryogénie profonde devienne une clé technologique du futur !
Mes motivations, vous les avez certainement déjà pressenties ! La passion et les défis technologiques, trouver une essence et donner une ambition à mes contributions, l’humain et le sens des responsabilités, enfin l’action et l’engagement sans calcul ni combinaison.
Quelles sont les problématiques que l'hydrogène doit encore surmonter avant de remplacer le kérosène et pressentez-vous déjà l’esquisse de solutions ?
Les problèmes sont de deux ordres, techniques et organisationnels.
Techniquement, dans un premier temps, il faut adapter les moteurs pour utiliser l’hydrogène comme carburéacteurs. C’est un gros travail, mais il s’agit d’un développement en gardant la même architecture et fiabilité qui conduit aux certifications ETOPS. La fiabilisation et la certification des piles à combustible et de l’avion tout électrique sont plus complexes. La densification de puissance d’une motorisation propulsive électrique, par exemple avec la supraconduction, est un véritable projet de recherche.
Pour le stockage et la distribution de l’hydrogène (obligatoirement liquide pour les avions commerciaux moyens et
long-courriers), on touche à l’architecture de l’avion. Les technologies actuelles sont soit des installations sols très bien isolées, mais lourdes et circulaires, soit spatiales, donc très légères, mais avec une efficacité thermique, une durabilité et un nombre de cycles aussi très faibles. Nous pensons que pour satisfaire les contraintes de performance et de stabilité de l’avion, les exigences de sécurité et les conditions économiques, il ne sera pas suffisant de prendre les technologies cryogéniques classiques, même en y intégrant des matériaux composites. C’est pourquoi SHZ Advanced Technologies a développé des concepts novateurs tels qu’entre-autres : des réservoirs de formes quelconques isolés par des billes de verre creuses sous vide et maintenues sous contraintes pour limiter l’épaisseur et le poids de l’enveloppe extérieure, qui puissent s’intégrer dans des espaces exigus ; des réservoirs triples enveloppes avec un circuit de pressurisation hélium qui évite toute migration de l’hydrogène en cas de fuite ; des circuits de prélèvement de l’hydrogène par évaporation forcée pour maintenir une puissance de refroidissement de l’hydrogène liquide ; ou encore le concept de régulateur FADHyCC. Une autre difficulté concerne la pression et la température à laquelle l’hydrogène sera réintroduit dans les moteurs. Nous avons donc également inventé un générateur cryogénique d’hydrogène gazeux SEPR (Surpresseur-Evaporateur-Prémélangeur-Réchauffeur).
Les problèmes organisationnels consistent principalement à créer et coordonner une supply chain mondiale de l’hydrogène en impliquant la totalité de la filière aéronautique, producteurs/distributeurs d’hydrogène, aéroports, constructeurs, motoristes, équipementiers et sous-traitants, sans oublier les compagnies aériennes et les autorités de régulation. C’est loin d’être simple, particulièrement dans un secteur concurrentiel sous pression, structuré autour d’un duopole avec un carnet de commande de plus de dix mille avions-kérosène à livrer dans les dix prochaines années, et où trop souvent, la marge opérationnelle des entreprises est inversement proportionnelle aux risques et à l’investissement consentis !
Quel est votre sentiment sur le développement durable de l’aéronautique et votre perception des jeunes générations de l’ISAE-SUPAERO dans votre domaine d’intérêt ? Et, pour rester dans la tradition de nos interviews, quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui sortent de l’École ?
L’aéronautique n’est pas qu’une technologie ou une simple industrie, c’est un mythe et une destinée.
Les mythes ne disparaissent jamais, ils se réinventent pour coller à a réalité présente, donc aujourd’hui au développement durable. C’est ce que nous devons collectivement et sérieusement nous accorder à faire. C’est notre mission à tous, et particulièrement celle des jeunes générations de diplômés de l’ISAE-SUPAERO. Nous avons besoin de leur enthousiasme, de leur créativité, de leur intelligence, et tant pis ou même tant mieux s’ils doivent nous bousculer un peu. Alors, foncez vers le futur avec audace, sans doute, sans défaitisme, toujours à la recherche de solutions technologiques, dans le but de continuer à développer les activités aéronautiques et spatiales, ou partout où cette technicité sera utile ! Comment ? En suivant la méthode de nos illustres prédécesseurs : « Sans fausse modestie, je dirai que je me suis efforcé de ne pas manquer d’imagination. Avec l’équipe que j’ai formée, j’ai beaucoup travaillé. Je ne me laisse pas décourager par les difficultés. J’ai la passion de mon travail et je sais, par volonté, écarter tout ce qui pourrait m’en détourner. J’ai une vie simple et heureuse. Tout, autour de moi, concourt et doit concourir à l’œuvre que je me suis fixée. » Marcel Dassault (S1913).
Un grand merci Jean-Michel pour cette interview et pour le temps que vous nous avez consacré.
Je vous souhaite, ainsi qu’aux membres de votre famille qui s’y investissent, plein succès dans le développement de votre start-up."
Florence Loyer
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