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In Memoriam Marc Pélegrin (SUPAERO 1949)
Décidément l'année 2024 commence bien mal !
Marc Pélegrin nous a quittés le 1er janvier 2024 à l'âge de 100 ans.
Je ne vais pas vous faire l'injure de vous rappeler qui était Marc, il était connu comme « le loup blanc » non seulement dans les milieux de l'Aéronautique et de l'Espace (Ingénieur Général de l'Armement, pilote d'avion, ancien Directeur Général de SupAéro et orfèvre du transfert de cette Ecole de Paris à Toulouse en 1968, créateur du C.E.R.T. , membre-fondateur de l'Académie de l'Air et de l'Espace et président de la section "Prospective", etc.) mais plus généralement dans tous les milieux scientifiques (correspondant de l'Académie Française des Sciences, membre-fondateur de l'Académie des Technologies) à Paris et dans le monde entier.
Mais je vais quand même évoquer quelques souvenirs personnels, pour les plus jeunes en particulier qui l'ont peut être moins connu.
Je fais partie des élèves de SupAéro qui ont eu l'immense chance de l'avoir comme professeur. Il fut avec Jean-Claude Wanner l'un des mes deux meilleurs professeurs dans cette Ecole, pouvant grâce à son incomparable charisme et son talent de vulgarisateur hors pair nous faire comprendre les mille subtilités des disciplines qu'il enseignait : les "Systèmes Asservis" (on ne disait pas encore "Automatique" et encore moins "Robotique" mais il y avait déjà les ingrédients de base) et "La Conception et l'Utilisation des Ordinateurs".
Je me rappelle avec émotion qu'en 1966, après nous avoir fait "inventer" chacun de notre côté l'organigramme de la structure d'un ordinateur, il nous fit écrire un "langage-machine" adapté et programmer avec celui-ci de petits calculs d'aérodynamique et de résistance des matériaux !
Il avait fait partie des trois jeunes Ingénieurs Militaires de l'Air (avec Gilles et Decaulnes) envoyées en mission en 1944 ou 1945 dans les meilleures Universités américaines pour s'instruire et, de retour, mettre la France à niveau dans ces domaines.
Le livre de cours qu'ils publièrent alors restait encore, vingt après, pour les élèves de ma Promotion, la "Bible" des systèmes asservis !
(Pour information, l'année suivante, en 1945 ou 1946, c'est Jean Carpentier qui serait envoyé à son tour aux Etats-Unis et apporterait à son heure une nouvelle pierre essentielle à notre édifice). Devenu Directeur des Recherches et Etudes Technologiques de la D.G.A. il fut l'instigateur au début des années 1980, dans les services Officiels, de l'achat par l'Etat pour l'ONERA du premier super-calculateur parallèle Cray One (le plus puissant du monde à l'époque), mis en "pool" à Châtillon au profit des quatre « grands » de l'aéronautique française : ONERA, Dassault, SNECMA et Aerospatiale/Toulouse.
Cela supposait que l'on arrive à réaliser une liaison informatique à haut débit, on parlait fièrement de 1 Mo / s à l'époque ! , sur 700 km de Blagnac à Châtillon (350 amplificateurs-répéteurs, un tous les 2 km, et de la fibre optique expérimentale tout du long pour la première fois en France en 1982) et une autre de quelques km seulement de Saint-Cloud (Dassault) à Châtillon mais totalement protégée des énormes parasites électromagnétiques provenant du plus grand pôle d'interconnexion de lignes à 200 000 Volts de l'EDF et des impulsions de télécommande du côté de Vélizy/Villacoublay.
Il fallait le faire, ils l'ont fait !
Jean Carpentier sut convaincre les Délégués Généraux à l'Armement, Henri Martre puis Emile Blanc et par eux les Ministres de la Défense qui à leur tour obtinrent des Ministres des P et T et de France-Télécom ces magnifiques « premières » techniques.
J'y étais, comme défenseur des "clients" et "petite main" de la préparation du dossier et je peux en témoigner (il fallait une nuit entière pour transmettre de Blagnac à Châtillon le fichier détaillé de géométrie et de structure complet d'un Airbus, quelques heures pour faire les calculs demandés à Châtillon et à nouveau une nuit pour envoyer les résultats détaillés à Blagnac).
Mais ça marchait ! Gloire à nos "Grands Anciens" ! .
Pour en revenir à Marc Pélegrin, en plus d'un immense savant et d'un professeur extraordinaire, il avait "les pieds sur terre" et fut un aussi brillant "manager".
De 1966 à 1968, il organisa comme chargé de mission et réalisa de main de maître le transfert de SupAéro de Paris à Toulouse et, en parallèle, parce qu'un grand établissement d'enseignement supérieur ne peut pas vivre sans s'appuyer sur des équipes de chercheurs de haut niveau, il fonda le C.E.R.T. (Etablissement de Recherche de l'ONERA à Toulouse) à partir d'éléments venus du C.E.R.A. (Centre d'Etude et de Recherche en Automatique) de Villacoublay et d'autres créés de toutes pièces sur place.
Il avait aussi tenu, vrai écologiste avant l'heure (et inspiré par les universités américaines) à ce qu'il y ait davantage d'espaces verts que de bâtiments sur le campus de Rangueil.
C'est pourquoi, il fut nommé en récompense le premier Directeur Général des deux Etablissements à la fois, à Toulouse, SupAéro et le CERT.
Passionné d'aviation sur le plan très pratique également, il était inscrit à l'aéro-club d'Air France à Montaudran (le plus proche du Campus de Rangueil) où il pilota des avions légers jusqu'à un âge avancé.
D'autres, plus compétents que moi et surtout plus jeunes, pourront mieux parler que moi de cela et de Marc Pélegrin comme ami d'André Turcat et co-fondateur de l'Académie de l'Air et de l'Espace et aussi de sa réception comme Correspondant de l'Académie des Sciences à Paris et co-fondateur de l'Académie des Technologies), également de ses activités de professeur à l'étranger (au Centre d'Essais et de Recherche Aéronautique de São José dos Campos et chez Embraer au Brésil notamment).
Je leur laisse la plume.
Le 19 décembre 2013, un remarquable colloque d'une journée entière en l'honneur de Marc, pour fêter ses 90 ans, fut organisé à l'ISAE.
Co-présidé par Bernard Ramanantsoa (SUPAERO 1971), Directeur Général de HEC Paris, Jouy-en-Josas et Olivier Fourure (X 80), Directeur Général de l'ISAE :
Marc Houalla (Directeur de l'ENAC) de profil, Olivier Fourure à la droite de Marc Pélegrin, et alii le 19 décembre 2013
il comporta, après une présentation de l'Ecole Doctorale par Yves Gourinat :
des conférences de haut niveau aussi bien sur des sujets scientifiques et techniques à la pointe du progrès que d'autres à caractère plutôt philosophique comme celle de Philippe Jarry par exemple :
Je ne peux pas toutes les citer, les nombreux intervenants que je n'ai pas mentionnés voudront bien me pardonner, j'espère.
Marc qui était alors encore en pleine forme put, pour le bonheur de tous, prendre la parole pour nous redonner sa conception de ce que devrait être un bon ingénieur, remercier tous les participants pour leur présence et souhaiter long et brillant avenir à l'Institut.
Conclusions de l'exposé de Marc Pélegrin (19 décembre 2013)
Fin 2023, pour les 100 ans de Marc, une nouvelle cérémonie fut organisée, mais hélas sans la présence de Marc dont la santé avait déjà beaucoup décliné.
Sur le plan humain, je tiens enfin à signaler un point qui m'a toujours impressionné : A la différence de certains parents qui sont contrariés quand leurs enfants ne suivent pas une voie aussi brillante que la leur, Marc et son épouse Renée ont toujours laissé leurs sept enfants choisir librement leurs études et leurs carrières et en toujours été satisfaits du moment que ça correspondait à de vraies vocations même si ce n'était pas de haut niveau scientifique.
Rappelons toutefois qu'une de leurs filles, Claire, travailla chez Airbus dans le domaine des facteurs humains et de l'ergonomie.
Marc, au moment où tu nous quittes pour ton dernier vol, je n'ai qu'un mot à dire pour exprimer mon admiration à ton égard et celle de tous ceux qui t'ont connu : Bravo et merci pour tout ce que tu as fait pour la France et le secteur aérospatial français en particulier.
Repose en paix !
Jean-Michel Duc (SUPAERO 1968),
9 janvier 2024.
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