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In Memoriam Joseph Saleh (S1997)
Ce que j'ai vu et appris grâce à Joseph Saleh
Joseph Saleh est entré dans ma vie en 1997. Il venait d'arriver au MIT pour son doctorat alors que j'y étais jeune professeur. J'aurais bien voulu travailler avec lui, mais Joseph était fermement déterminé à laisser une trace durable dans l'ingénierie des systèmes et la mise au point des missions spatiales ; or je ne connaissais rien à ces sujets qui le passionnaient et qu'il avait acquis lors de son passage comme élève à SUPAERO. Cette première rencontre fut néanmoins le début d'une longue amitié au long de laquelle Joseph m'a tenu au courant de ses travaux, ses ambitions, ses soucis, ses réussites et ses aventures, toujours passionnantes.
Ainsi, j'ai eu l'occasion de suivre les progrès de ses recherches, qu'il menait avec brio en utilisant les conseils avisés et, parfois, le soutien financier de ses professeurs au MIT. Une des caractéristiques essentielles de Joseph Saleh vis-à-vis de ses recherches est la suivante : il ne travaillait que sur les sujets qu'il jugeait importants et justes, ne prêtant qu'une attention modérée aux conseils de ses collègues sur ce qui était le "domaine important" ou "le sujet en vogue". Cela mena Joseph à contribuer de manière significative à l'architecture des systèmes spatiaux et à la compréhension du rôle de la flexibilité dans les systèmes complexes. La solidité et la brillance des perspectives intellectuelles de Joseph et de ses résultats lui ont donné l'opportunité de s'impliquer dans les activités d'enseignement, lui permettant ainsi de partager ses vues étonnamment ouvertes et indépendantes avec les plus jeunes membres de la communauté universitaire. Nous discutions très souvent de sa passion pour l'enseignement et de la façon de présenter des concepts souvent difficiles de la manière la plus intuitive possible.
Notre relation aurait pu en rester là, mais le destin en décida autrement : après avoir obtenu brillamment son doctorat, Joseph prit la direction d'une alliance forgée entre Ford et le MIT à laquelle je participais. Nous continuâmes ainsi nos discussions et nos échanges académiques. Je me souviens en particulier de la manière dont Joseph sauva la relation houleuse qui s'était établie entre moi et un élève ingénieur brillant mais incompréhensible à mes yeux. D'un commun accord, Joseph le prit sous son aile et lui fit réaliser un travail pionnier dans je domaine des systèmes complexes. Cet élève est maintenant le fondateur d'une des entreprises les plus performantes au niveau mondial en impression 3D. Toujours à l'écoute de ses amis et collègues, passionné par ses étudiants et leur progrès, voilà ce qui résume la nature profondément humaine de Joseph.
La suite de notre aventure se déroula à l'institut de technologie de la Géorgie, Georgia Tech, où Joseph commença sa carrière de professeur deux ans après que j’ai décidé de continuer la mienne. Joseph était plein d'enthousiasme et continua son travail sur les systèmes spatiaux, y ajoutant une passion croissante pour l'étude de leur fiabilité. L'un des sommets de ce travail de recherche est un livre publié chez Wiley dont le titre, "Spacecraft reliability and multi-state failures: a statistical approach" révèle facilement le contenu. Son co-auteur et élève, Jean-François Castet (S2009), est l'un des nombreux ingénieurs - incluant aussi Greg Dubos (S2007) - issus de SUPAERO ayant bénéficié de la supervision inégalée de Joseph et les menant à des carrières brillantes au sein du Jet Propulsion Laboratory. À Georgia Tech, Joseph fut à nouveau capable d'exercer son talent exceptionnel d'enseignant en symbiose avec sa recherche, développant un cours sur la gestion des risques et de la fiabilité des systèmes accessible aux plus jeunes. La réputation grandissante pour ce cours attira un nombre croissant d'élèves, non seulement en raison de son contenu, mais aussi car Joseph était connu pour ne jamais épargner son temps passé seul-à-seul avec eux pour discuter de leur avenir. L'un de ces étudiants est ma propre fille Lucile, à laquelle Joseph conseilla d'envisager la suite de ses études dans les domaines de la gestion et du commerce après son séjour à Georgia Tech. Sitôt dit, sitôt fait, à la grande satisfaction de ses parents.
Joseph confiait rarement ses aventures personnelles, mais sa passion pour le Liban et pour le pilotage, étaient évidents pour tous ceux qui avaient eu la chance de parler longtemps avec lui. Joseph était fortement marqué par la guerre civile qui ravageait son pays natal durant sa jeunesse et qui l'avait aidé à devenir, très tôt, un remarquable penseur et homme de terrain. Un des derniers pilotes encore présents dans le corps professoral de Georgia Tech, Joseph racontait des aventures étonnantes dont celle-ci : s'étant posé sur un lac d'Alaska et réalisant, trop tard, que le lac n'offrait pas la longueur suffisante pour un décollage dans les règles de l'art, Joseph décida de prendre de la vitesse sur la piste circulaire offerte par ce lac, suivi par un décollage au-dessus de la chute par laquelle l'eau du lac s'épanchait.
La disparition soudaine de Joseph Saleh est une perte considérable pour beaucoup. Sa carrière remarquable, son intense production bibliographique*, et le grand nombre des étudiants qui ont profité de ses conseils contribuent tous à sa postérité pour les années à venir.
Eric Feron
*Un aperçu de l'ensemble du travail de Joseph Saleh est disponible en ligne sur https://scholar.google.com/citations?user=oewjyycAAAAJ&hl=en&oi=ao
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