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La neuro-ergonomie prend les commandes dans le cockpit
Pour améliorer la sécurité aéronautique, les experts de l’Isae-SUPAERO étudient les interactions homme-machine. Objectif, analyser le comportement du pilote pour lui venir en aide à bon escient.
"Le système compare les parcours visuels à une base de données qui compile les comportements parfaits de vingt pilotes. Il procède à des notifications s’il constate de trop grands écarts de temps passé sur tel ou tel instrument" explique Christophe Lounis, doctorant.
La neuro-ergonomie des cockpits
Des travaux menés dans le cadre du projet de recherche Casac, avec Dassault Aviation, qui le finance depuis trois ans. Il vise à augmenter les performances des pilotes de combat, mais aussi à améliorer la sécurité aérienne.
"L’étape d’après consistera à enrichir le système Feta avec des algorithmes d’intelligence artificielle pour intégrer des éléments de contexte, notamment parce que la surveillance du regard sur les instruments de bord devra s’adapter aux différentes phases de vol, précise Christophe Lounis, doctorant. Et il faudrait que le système soit en mesure de s’adapter à la façon de procéder de chaque pilote." Et pour le guider en cas de surcharge cognitive, un copilote virtuel pourrait l’assister.
À Toulouse (Haute-Garonne), l’école d’ingénieurs ISAE-SUPAERO est à la pointe sur le sujet, en lien avec des poids lourds tels qu’Airbus, Thales, Dassault, Air France et la Direction générale de l’aviation civile (DGAC).
Sur les quelques 330 personnes dédiées à la recherche au sein de l’école, 25 spécialistes se penchent sur la neuro-ergonomie dans un melting-pot scientifique mêlant psychologues, ingénieurs en aéronautique, biologistes, informaticiens, spécialistes en interfaces homme-machine et data scientist.
D’ici à la fin de l’année, un bâtiment sera entièrement dédié à cette discipline qui fait également l’objet de formations au sein de l’ISAE-SUPAERO. "L’automatisation des vols est devenue telle que l’on parle déjà d’un phénomène d’addiction aux automatismes chez les pilotes et de nombreux accidents sont dus à des défauts de contrôle de leur part, souligne Mickaël Causse directeur de recherche en neuroergonomie, à l’ISAE-SUPAERO, docteur ISAE-SUPAERO 2010, premier lauréat d’un prix de thèse de la Fondation en 2010.
L’un des fondateurs avec Frédéric Dehais (D 2004 S) de l’équipe en 2006. Si les systèmes que nous étudions deviennent fiables, ils pourraient inspirer les équipements installés dans les cockpits."
On peut noter d'une part, que l’équipe bénéficie d’une des premières chaires signées par la Fondation ISAE-SUPAERO, chaire signée en 2014 avec le Fonds pour la recherche AXA, et d’autre part que la Fondation ISAE-SUPAERO a soutenu l’équipe de recherche en participant à l’achat de l’avion VULCANAIR P 68 grâce au don de la promotion SUPAERO 1982 (qui a financé 10% de l’avion) et à l’équipement de la liaison sol-bord de l’avion grâce à un mécénat en nature de ZODIAC DATA SYSTEMS.
Pour mieux analyser les interactions hommes-machines, les spécialistes de l’ISAE-SUPAERO n’hésitent pas à sortir du cadre des simulateurs de vol. Illustration avec la plate-forme de systèmes autonomes, surnommée "la volière" : drones et robots terrestres évoluent au sein d’une pièce de 100 m² pleine d’obstacles dans un doux bruissement.
"Il y a des liens entre le comportement du pilote vis-à-vis d’un drone et un pilote dans un cockpit, soutient Nicolas Drougard (D 2015 I), chercheur en intelligence artificielle. Ces travaux avec les drones et les robots nourrissent ce que l’on fait dans le simulateur de vol."
La manœuvre commence : sur un écran, le pilote voit la modélisation 3D de la pièce et doit éteindre au plus vite des incendies virtuels en dirigeant un robot. L’équipe mesure ses données physiologiques, rythme cardiaque et activité cérébrale.
"En situation de stress, le pilote se retrouve dans un état mental dégradé, explique Caroline Ponzoni Chanel (D 2013 I) chercheuse en intelligence artificielle. Ce qui permet de comprendre comment mieux faire évoluer le système de pilotage et d’élaborer une stratégie de supervision."
Et les chercheurs de souligner ce que l’IA pourra apporter, nourrie par la myriade de capteurs des aéronefs : analyse du contexte en temps réel, diagnostic de l’état cognitif du pilote, gestion de l’incertitude voire, en cas limite, reprise en main de la machine. Un rôle qu’elle devra peu à peu accomplir en toute transparence pour trouver sa place dans l’aéronautique et permettre l’irruption des cockpits intelligents et adaptatifs.
Des compétences pointues qui ont conduit l’ISAE-SUPAERO à participer au projet Man machine teaming (MMT) lancé en 2018, financé par la DGA et animé par Dassault Aviation et Thales.
Ce dernier vise notamment à explorer des pistes technologiques qui pourraient être déployées pour le système de combat aérien futur (Scaf).
Dans ce cadre, l’école collabore avec Thales au sein d’Hyperscan. Son ambition : mettre au point des technologies capables de mesurer en temps réel la "synchronie" entre l’activité cérébrale de deux personnes devant collaborer à distance, comme un pilote et un opérateur au sol.
Les travaux vont consister à analyser leurs signaux physiologiques pour évaluer leur engagement intentionnel à chaque instant. Toujours avec Thales, l’ISAE-SUPAERO travaille également sur le projet, Cocpit (Cognitive countermeasure for pilots testbed) : il a pour but de développer des contre-mesures cognitives en cas de tunnelisation de l’attention, lorsqu’un pilote focalise de manière excessive son attention sur un instrument de vol.
Simplifications des interfaces, affichages adaptés à la charge mentale, présence d’un jumeau numérique mettant en jeu les neurones miroirs du pilote, messages d’alertes en cas d’hypovigilance… C’est toute une panoplie technologique qu’il reste à développer pour attirer l’attention du pilote.
Évaluer le niveau de concentration dans un environnement perturbé : c’est l’objet des travaux d’Émilie Jahanpour, doctorante en neuro-ergonomie (D 2019 I).
À côté, un simulateur dynamique de cockpit d’avion, posé sur six vérins, équipé d’un casque de réalité virtuelle avec système de suivi du regard intégré, ainsi qu’un capteur d’activité cardiaque. Un outil immersif qui permet là encore d’étudier le comportement du pilote.
Et bientôt, l’école va bénéficier d’un nouveau dispositif. Pour le voir, il faut se rendre au centre opérationnel de Lasbordes, à 5 kilomètres de là. Dans un hangar de 550 m², trônent neuf avions qui appartiennent à l’école. "Nous allons installer des instruments de mesure d’ici à la fin de l’année dans un bimoteur, un Vulcanair P-68 Observer, avance Mickaël Causse. Nous pourrons tester de nouveaux effets, car la suite avionique est proche de celle de l’A 320." De quoi tirer encore un peu plus vers le haut les travaux menés par l’école.
Thales promet une solution de rupture
Après Avionics 2020, engagé depuis 2013, Thales profite du Bourget 2019 pour lancer FlightX, une suite avionique ultramoderne qui fait la part belle aux écrans tactiles.Thales prévoit d’y introduire un assistant virtuel capable de fournir aux pilotes des suggestions durant le vol, via l’intelligence artificielle.
Au-delà des outils immersifs, l'ISAE-SUPAERO équipe ses propres avions d'instruments de mesure pour tester de nouveaux effets (Photo).
Extraits de l’article d’Usine Nouvelle du 18/06/2019
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